La règle de droit
Il faut parvenir à distinguer entre la règle de droit et ce qui constitue les règles générales de
vie en commun. Si souvent elles se trouvent imbriquées il y a parfois aussi des
ruptures, ainsi « bien des actes
condamnables aux yeux des hommes reçoivent l’approbation de votre témoignage,
et, beaucoup d’autres, loués par les hommes, sont condamnés par votre
témoignage » (Saint-Augustin, Les confessions, livreIII, chap IX). De même le
droit n’est pas forcément rationnel comme le montre le code de circulation où
la conduite peut se faire selon les pays à gauche ou à droite. Si la morale
croise le droit elle peut aussi s’en dissocier. Il faut tenter de trouver des
frontières claires permettant de définir fermement
cette règle de droit.
1- La règle
de droit est obligatoire, elle
s’impose à tout individu par le biais d’une sanction celle-ci est préventive ou
répressive. Ici on peut distinguer règle de droit et règle morale, si la
réprobation du groupe intervient pour une infraction à la règle morale elle ne
se poursuit pas forcément par l’application d’une sanction / c’est
systématiquement le cas de la règle de droit.
2- La
fonction de la règle de droit est d’organiser
les rapports dans la société par un tissu de rapports juridiques
3- Elle impose, un individu ne peut y déroger
par un effet de sa volonté. Cf art.6 du Code civ ? « on ne peut déroger, par
des lois particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public ou les bonnes
mœurs ».
4- Elle propose un modèle de conduite. La règle
de droit donne ainsi le choix entre plusieurs conduites possibles. Dans le cas
de la rupture du mariage, les époux peuvent choisir entre différentes ruptures (consentement
mutuel, faute, altération définitive du lien conjugal, acceptation du principe
de rupture du mariage). Mais elle peut aussi proposer un modèle / dans le cas
du mariage la communauté réduite aux acquêts – mais les futurs époux peuvent
écarter ce régime au profit d’un contrat de mariage – on parle ici de lois
supplétives.
5- Elle exprime les valeurs de la société qui
l’engendre. Cf la présentation du projet
de Code pénal par Robert Badinter, Dalloz, 1988, p.11 « Le nouveau Code pénal doit exprimer les
valeurs de notre société. Les incriminations qu’il formule, les peines qu’il
comporte doivent être en harmonie avec la conscience collective. » Il y a une
montée du symbolisme législatif dans la volonté de définir des objectifs pour
la loi : on en trouve l’illustration dans le droit opposable au logement « le
droit au logement est un droit fondamental » énonce la loi du 6 juin 1989. Il
s’agit de favoriser l’adhésion des citoyens aux lois et l’apparition d’idées
nouvelles.
6- Elle est nécessaire / ubi societas, ibi jus / le
droit est l’expression de la civilisation, dès que les hommes forment un groupe apparaît la règle de droit qui vient
ainsi se confondre avec l’apparition de la civilisation. Si aujourd’hui la
place de l’individu semble faire reculer le droit (droit de la famille par
exemple) d’autres sont abondants : « Là où la vie privée, intime, est en jeu, le vent dominant est au
renoncement du droit ; ailleurs, l’interventionnisme étatique fait abonder le
droit », J Carbonnier, Essais sur les lois, 2e éd. Defrénois, 1995, p.262.
Le droit en même temps qu’il acquiert une force propre par l’Etat
n’en doit pas porter attention aux coutumes et aux mœurs en même temps que
d’interroger les finalités du droit. Bien sûr le droit possède un vocabulaire
qui lui est propre ; on recense plus de
10 000 mots. Le discours juridique vise la clarté et utilise des formes neutres ou
passives « il est permis de… », « il est
interdit de… », de même seuls
l’indicatif présent et le futur sont possibles. Auparavant la formule était
lapidaire « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » (Code pénal
de 1810). Aujourd’hui l’inscription langagière est beaucoup plus complexe et se
rapproche, disent ses détracteurs, du « nouveau roman ». Il y a par
ailleurs un rapprochement entre la formulation juridique et les mathématiques
en cela que nous sommes dans un système
d’inférences : il y a un rapport logique entre les propositions qui
sont solidaires. De même nous sommes dans un système conditionnel dans un rapport
de condition à conséquence ou de cause à effet, ce rapport se manifeste par les
mots ; « si ( en cas, quand, lorsque…) … alors… ». Exemple l’art 1109 du
Code civil[P1]
pose :
« il n’y a point de consentement valable, si le
consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par la
violence ou surpris par dol ». Le consentement a un contrat est donc de
facto nul s’il est lié à une erreur, dol ou violence. L’application de cette
règle de droit supposant le passage du général au particulier, de la règle de
droit au cas particulier, le raisonnement est alors déductif : dans l’exemple précédent « le consentement d’une
partie ayant été obtenu par dol du cocontractant, ce consentement n’est pas
valable et le contrat est nul ». Mais le plus souvent l’application
mécanique de la règle de droit est impossible, elle nécessite interprétation. Ainsi si une plainte
intervient pour dol parce que l’achat est lié au boniment du marchand, il
faudra prouver que l’excès est la cause de l’achat et constitue une infraction.
Ce seront les arguments des parties qui feront la différence auprès du juge et
la logique de la démonstration. Il faudra prouver que la mineure « le
boniment est la cause de l’achat » est la cause de la majeure, ici le
consentement au contrat.
Les méthodes d’interprétation :
1-
La
méthode exégétique / l’interprète ne peut se fonder que sur le texte à
interpréter, les textes qui l’accompagnent et l’intention du législateur.
L’interprétation est rigide.
2-
La libre
méthode scientifique / L’interprète peut aller au-delà des textes qui n’ont
pu tout prévoir, le juge fondera sa décision sur l’histoire, l’état des mœurs,
l’équité. L’interprétation est souple.
Aujourd’hui il y a en France une
combinaison de ces 2 méthodes en ce qui concerne le droit civil. Pour le droit
pénal prévaut l’interprétation stricte des textes dans un souci de protection
des libertés.
L’interprétation du droit repose
sur 3 types d’arguments extra-juridiques :
1-
Argument d’équité :
l’équité est un guide pour le juge mais n’est pas une source du droit. On a vu
une décision de la cour de cassation consacrée l’argument d’équité (Req. 15
juin 1982, Grands arrêts, t2, n°227) « l’action en enrichissement
sans cause … dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au dépend
d’autrui ». conduit à indemniser
autrui.
2-
L’argument sociologique :
l’évolution des mœurs est pris en compte par les juges avant la réforme du
divorce de 1975 en acceptant le divorce par consentement sans vérifier la
réalité de la faute.
3-
L’argument économique :
il y a une référence implicite à l’économie
dans le cas du code du travail et d’une façon générale sur tous les pans
du droit qui touche à l’économie.
L’interprétation par les maximes d’interprétations et les
arguments de logique juridique
1-
Speciala
generalibus derogant / une loi spéciale déroge à une loi générale
/et/ Generalia specialibus non derogant
/ une loi générale ne déroge
pas à une loi spéciale
2-
Ubi
lex distinguit, nec nos distinguere
debemus / là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas
distinguer : ex art. 1384, alinéas
1er du Code civil érige en principe général de responsabilité le
fait que l’on parle de chose en général pour les « choses » sous
notre responsabilité, la jurisprudence a considéré que cela s’appliquait aussi
bien aux meubles qu’aux immeubles.
3-
Exceptio
est stricissimae interpretatonis / l’exception est d’interprétation
stricte - toute règle dérogatoire au droit commun doit
être interprétée d’une manière stricte.
4-
Cessante
ratione legit, cessat ipsa dispositio / la raison d’être de la loi cessant,
la loi cesse d’elle-même. Si la raison
d’être d’un texte disparaît celui-ci ne doit plus s’appliquer. Ex : art. 1325 du Code civil exige pour
la preuve que pour la preuve d’un
contrat synallagmatique il y est un contrat sous seing privé en « autant
d’originaux qu’il y a de parties » pour éviter la falsification par la
partie détentrice s’il possède le seul original. Mais la jurisprudence a
considéré que si l’original unique était dépose entre les mains d’un tiers
indépendant des parties, ce risque n’existait plus et la formalité du double ne
s’impose plus.
L’interprétation peut aussi
s’appuyer sur des arguments :
1-
argument téléologique / se
fonde sur la finalité poursuivie par la loi, celle-ci pouvant se déduire des
travaux préparatoires à son établissement et des considérations sur le texte
lui-même. Le législateur formule souvent des objectifs dans les textes qu’il
adopte : ex l’esprit de la loi du 13 juillet 1965 relative aux régimes
matrimoniaux étant communautaire la jurisprudence s’est servie de cet argument
pour inclure les gains et salaires des conjoints dans la masse commune.
2-
argument analogique
( a pari ) / une situation voisine doit recevoir un
traitement juridique identique ou proche. L’annulation du mariage ressemblant
au divorce l’allocation compensatoire peut donc aussi s’y appliquer.
3-
Argument a
contrario conduit à poser que l’application d’une règle à une hypothèse ne
pourra être appliquée à une autre. Ex : déduire de l’article 1383 du Code
civil « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage,
oblige celui par duquel la faute est arrivée, à le réparer », qu’en
l’absence de faute, il n’y a pas obligation de réparer serait contraire au
droit positif.
4-
Argument a
fortiori permet l’extension d’une règle à une hypothèse. Ex : s’il est
interdit de blesser a fortiori il est
interdit de tuer.
5-
Argument de
cohérence, se fonde sur la cohérence du système juridique, il faut
privilégier les interprétations non contradictoires avec le texte initial. La
place d’un texte dans tel ou tel chapitre implique une volonté du législateur
de le rattacher à une règle générale dont il faut aussi tenir compte.
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